Dans les entrailles du Centre International de Deauville, un bâtiment que personne ne voit
La visite commence là où le public ne s’aventure jamais. Sous les halls et les auditoriums du Centre International de Deauville (CID), une succession de couloirs techniques s’enfonce progressivement sous le niveau du sol.
C’est Joël Daubichon, coordinateur technique du site, qui guide cette descente. Voilà plus de trente ans qu’il veille sur le bâtiment, qu’il a vu sortir de terre — ou plutôt s’y enfoncer.
Un bâtiment construit comme une coque
« Ici, on est déjà sous le niveau zéro », explique-t-il. À mesure que l’on descend, le CID révèle sa véritable nature : un bâtiment entièrement contenu dans une cuve en béton armé, conçue comme une coque étanche.
Cette cuve ne pourra jamais être élargie. L’architecture est figée, contrainte par son environnement immédiat et par la technique elle-même. Les parois moulées qui l’entourent retiennent les sols sableux et marécageux, tandis que près de 180 tirants d’ancrage, scellés jusqu’à quarante mètres de profondeur, absorbent les pressions du terrain.
Un système invisible, mais surveillé de près. En permanence, les pressions exercées sur la structure sont contrôlées, rappelle Joël Daubichon. Ici, la stabilité est une affaire quotidienne.
Une exception réglementaire enfouie sous terre
À –13 mètres, le bâtiment atteint la profondeur de la scène de l’auditorium. Une configuration qui, aujourd’hui, serait tout simplement interdite. « À cette profondeur, un ERP ne devrait pas exister », rappelle le coordinateur technique.
Le CID fait figure d’exception, sans équivalent en France. Un héritage des années 1990, à une époque où le projet, porté par l’architecte, était considéré comme profondément novateur. Résultat : aucune règle type, aucun modèle existant. L’exploitation repose sur des solutions sur mesure et une anticipation permanente des risques.
Le cœur du bâtiment : l’air
À mesure que la visite progresse, les volumes s’agrandissent. Derrière des portes techniques se cachent les véritables poumons du CID : les centrales de traitement d’air.
Le bâtiment en compte dix-sept. Certaines sont dédiées à de petites salles, d’autres à des volumes gigantesques. Pour l’auditorium, deux centrales de 50 000 m³ par heure chacune fonctionnent en parallèle. « Rien que pour cette salle, on dépasse les 100 000 m³ d’air brassés », précise Joël Daubichon.

Ces installations assurent à la fois le chauffage, la climatisation et le désenfumage. En fonctionnement normal, l’air est diffusé lentement, presque imperceptiblement. En cas d’incendie, les mêmes réseaux changent instantanément de rôle, selon des scénarios complexes pilotés par automatismes.
Des machines pensées pour ne jamais s’entendre
Dans ce bâtiment semi-enterré, le bruit est un ennemi. À l’extérieur, le CID ne doit rien laisser filtrer. À l’intérieur, la diffusion d’air ne doit jamais perturber un concert ou une conférence.
Joël Daubichon montre les pièges à son, de grands modules absorbants installés sur les prises et rejets d’air. « Quand les machines fonctionnent, on ne doit rien entendre dehors », insiste-t-il. Une contrainte renforcée par la proximité immédiate du casino et des zones urbaines.

La face cachée de la maintenance
La visite se transforme parfois en parcours du combattant. Pour atteindre certaines machines, il faut traverser des couloirs étroits.
Joël Daubichon en connaît chaque détour. « Quand on doit changer un moteur de 400 kilos, il faut tout démonter sur place », explique-t-il. Impossible de sortir les machines autrement : elles sont prisonnières de la cuve.
Une complexité assumée par une équipe interne réduite à deux personnes, épaulée par une quarantaine de prestataires spécialisés. Ici, la connaissance du bâtiment est aussi précieuse que les outils.
Préparer l’avenir sans renier l’existant
La visite se conclut sur les installations de production de froid. Deux compresseurs assurent la climatisation du site. Jusqu’à récemment, la chaleur générée par ce système était perdue.
« L’idée aujourd’hui, c’est de ne plus rejeter cette énergie », explique Joël Daubichon. Les énergies fatales produites par le froid seront bientôt récupérées et renvoyées vers la piscine voisine, afin d’être valorisées. Un projet prêt à être opérationnel pour la prochaine saison.